Mgr. Elisée: Dimanche du Jugement Dernier
Monastère Saint Silouane.
Excellence, chers Pères, Mères, frères et sœurs en Christ !
Nous voici, d’une certaine façon, à la première étape du carême. La semaine qui va suivre sera déjà une semaine d’abstinence. Avant d’entamer le long jeûne du Grand Carême, c’est comme s’il s’agissait de s’habituer, de ne pas se passer de tout, brusquement, en même temps. C’est aussi un dimanche important, fondamental peut-on dire, pour notre préparation spirituelle.
Jusqu’à présent, nous avions rencontré des personnages, écouté des paraboles qui étaient autant d’enseignements sur notre façon de nous préparer au Carême.
Mais aujourd'hui, nous entrons dans le fondamental, il ne s’agit plus de savoir comment, dans quel esprit, nous devons vivre notre carême, mais bien de se demander pourquoi... ... Souvenons-nous d’abord de ce qui nous a été enseigné:
Monastère Saint Silouane.
L’histoire de Zachée nous a montré toute l’importance du désir envers Dieu, du désir de voir le Christ du désir de l’approcher. Si nous ne sommes nous-mêmes pas poussés par un tel désir, nous ne ne pourrons pas tenir la route. Ensuite, en regardant prier au temple un pharisien et un publicain, nous avons été mis en garde contre ce piège qui est sans doute l'un des plus grands : celui de l’orgueil, celui de penser que l’on peut tout faire par soi-même, celui de vouloir se valoriser, se justifier, vouloir tout diriger comme on l'entend pour son propre petit confort; en mettant en avant aux yeux de Dieu les œuvres que l’on a faites et que l'on pense avoir bien faites.
Cependant, il ne fallait pas tout rejeter dans l’attitude du pharisien : les commandements, il les respecte, et il en fait même plus ; son erreur est d’en tirer lui-même la satisfaction et la gloire ; bien sûr, l’accent était mis sur l’humilité du publicain qui s’en remettait, lui, totalement à la grâce de Dieu... et il avait de quoi. Dimanche dernier, c’est sur le repentir du fils prodigue que l’accent était mis. Celui qui a demandé à son père : donne-moi ma part d’héritage. Et qui est parti. « Vers un pays lointain » dit l’évangile. « Un pays lointain » pourrait être la définition de notre condition humaine : nous sommes comme expatriés du Paradis, séparés de la vraie vie et la nostalgie que nous ressentons est celle d’une autre réalité. Un sentiment de rupture, de séparation : nous sommes séparés de Dieu, exilés bien loin de Lui. Notre carême tout proche doit donc être appréhendé comme un chemin de retour d’exil cat le fils prodigue revient. Et son Père l’accueille. Comme notre Père qui est dans les cieux accueille tous les hommes qui se tournent vers Lui. Le père est sans doute l’image la plus merveilleuse que l’on puisse donner de la grâce de Dieu tout en voyant dans cette parabole l'affirmation la plus belle qui soit du pardon divin. Dieu ne fait pas d'enquête, il ne demande pas d’explication. Il pardonne, puis il écoute, mais avant tout, il se réjouit.
La parabole nous l'a dit: le père avait deux fils, et le second est dur, méchant. Il ne voit pas la bonté, le pardon de son père. Il ne voit que ses qualités, à lui, son travail, à lui, son obéissance, ses mérites, ses bonnes actions à lui !. On peut être sauvé parce qu’on est juste, par nos bonnes œuvres, pour autant qu’on n’en tire aucune gloire personnelle. Mais, si nous pouvons être sauvés, ce n’est pas, nous dit saint Paul, en observant la Loi. La Loi est là pour nous aider à vivre selon les enseignements de Dieu. La Loi ne donne pas le salut, elle nous aide sur le chemin. Car Celui qui nous donne le salut, celui qui est le chemin, c’est le Christ et c’est par Sa grâce et uniquement par sa grâce que nous pouvons être sauvés. Et Sa grâce, le Seigneur l’accorde dans sa grande miséricorde. Si le père est allé à la rencontre du fils cadet qui revenait vers lui, il est aussi sorti pour aller vers le fils aîné qui ne voulait pas rentrer dans la maison parce qu’il était en colère. Celui-là, le fils aîné, n’a pas fait l’expérience de la miséricorde ; il ne peut pas imaginer que son père puisse pardonner, aimer l’autre, c'est à dire son frère ... car il a transgressé le plus grand commandement, celui de l'amour, et cela, il l'ignore. Il ne comprend rien à l'amour et ne sait pas ce qu'est la miséricorde.
Mais aujourd'hui nous voici au seuil du carême avec une leçon fondamentale qui s’appuie sur la parabole du jugement dernier. Sur quoi serons-nous jugés ? Sur notre désir ? Notre humilité ? Notre repentir ? Puisse le Seigneur en trouver quelques traces en nos cœurs. Sinon, c’est notre orgueil, notre recherche de la satisfaction, notre dureté, notre méchanceté qui feront le poids. Avec cet évangile du jugement dernier, il nous faut surtout susciter une réflexion sur ce qui nous sépare de Dieu : c’est à dire le péché. Le péché, c’est l’absence d’amour qui entraîne la séparation, l’isolement, l’opposition ou encore l’indifférence.
« L’amour. » C’est bien là le mot clé de ce dimanche. L’amour, l’amour chrétien : reconnaître le Christ dans chaque homme. Une vraie rencontre. Rencontrer chacun, personnellement. Non pas pour que demain soit un monde meilleur mais parce qu’aujourd’hui, maintenant est le seul temps décisif pour aimer. L’amour, non pas le simple souci humanitaire d’une forme de justice abstraite et du pauvre anonyme, mais l’amour concret et personnel de la personne humaine, de toute personne humaine que Dieu nous fait rencontrer dans nos vies. Nous sommes tous appelés à travailler pour l’humanité de par notre vocation de chrétiens car chacun de nous a reçu le don et la grâce de l’amour du Christ.
Nous savons que tous les hommes ont suprêmement besoin de cet amour personnel qui découvre en eux leur âme unique où se reflète, d’une manière originale, la beauté de la création toute entière. A tort, nous avons coutume de penser que le carême est dur parce qu’on pense à tout ce dont on va devoir se priver. Il paraîtrait encore plus dur si on pensait vraiment à l’exigence spirituelle qu’il pose. Et nous en aurons une preuve dimanche prochain, on pourrait presque dire une première expérience : car il s’agira de pardonner ; de nous demander pardon. Le sens réel du carême, est là, dans ces exigences spirituelles. Si nous les oublions, si nous les ignorons, nous aurons beau respecter toutes les règles alimentaires des semaines à venir, notre carême ne sera qu’un triste échec lamentable ! Que le Seigneur bénisse ce temps, cette période qui commence et qu’il ouvre nos cœurs et nos esprits à la grandeur de son amour, de sa vérité et de son pardon.
Amen !