Monastère Saint Silouane

Mgr. Elisée: Dimanche du Pharisien et du Publicain

Dimanche du Pharisien et du Publicain
9 février 2025
Monastère Saint Silouane

Excellence, chers Pères, Mères frères et sœurs !
Nous voici aujourd’hui dans le Temple de Jérusalem, auprès d’un pharisien et d’un publicain. 
C’est à dire auprès d’un pharisien orgueilleux et d’un humble publicain… pensons-nous d’emblée.
Et voilà que dès les premières phrases de cette parabole, notre idée est faite. : nous pensons avoir tout compris. 
Un Pharisien ? C’est donc, un arrogant, un hypocrite dominateur et tout de suite nous lui donnons tort. Mais arrêtons-nous un instant. N'est-ce pas là, de notre part, un préjugé ? Evidemment, la suite de la parabole nous donne un peu raison. L'homme, en effet, est arrogant, méprisant même. Mais faut-il le réduire tout entier à ses défauts et à ses manques ? N’oublions-nous pas de voir aussi en lui un désir ; un désir fort et ardent de servir Dieu ; d'être un serviteur de la Loi parce qu’à ses yeux (à tort ou à raison), la Loi est un moyen de s'ajuster au vouloir de Dieu ? N’oublions-nous pas non plus que cet homme ne se soustrait en aucune manière au devoir de participer à la vie de sa communauté lorsqu’il dit : « Je verse le dixième de tout ce que je gagne » … Qu'il serve d'exemple en ce sens à chacun d'entre nous.

 

C'est la même chose à l'égard du publicain. 
Nous en faisons tout de suite un exclu, un laissé pour compte, un humble qui se reconnaît à juste titre comme tel devant Dieu. 
Exclu et humble devant Dieu ? 
Oui, c’est évident. 
Mais peut-être aussi faudrait-il le prendre au sérieux quand il se dit pécheur :
En son temps, il était collecteur de taxes et d'impôt, c’est à dire qu’il prélevait son salaire sur l'argent que les autres devaient lui remettre. Sans doute la tentation devait-elle être forte pour lui d'exiger un peu plus que le dû pour arrondir ses fins de mois… et ici encore nous réduisons cet homme à son attitude d'humilité devant Dieu, oubliant pourtant qu'il a des raisons et de réels motifs de se juger pécheur et s’humilier.
Reconnaissons-le : lorsque nous entendons cette parabole, nous tombons de suite dans le jugement. Alors que nous le savons pertinemment: les préjugés et les jugements sont non seulement réducteurs mais surtout destructeurs.
Les jugements nous empêchent d'aller plus avant, ils nous empêchent de regarder l'autre au plein de sa vie, de ses grandeurs comme dans ses petitesses. Ces jugements nous empêchent de voir ce qui serait souhaitable; ce qui pourrait être amélioré ou changé. De ce point de vue, l'actualité pour nous, aujourd'hui par cette parabole est évidente : nous traversons la vie avec nos préjugés. Préjugés à l'égard de ceux que nous ne comprenons pas ; préjugés à l’égard de ceux dont nous aimerions qu’ils pensent et aient la même vision des choses que nous ; alors que nous ne savons rien des combats (que bien souvent nous leur imposons...), nous ne savons rienu du désir, de la conversion, des enjeux qu’ils ont à vivre, à subir et à assumer pour leur prochain et donc pour notre propre prochain… Préjugés des riches à l'égard des pauvres, des pauvres envers les riches ; préjugés dans les conflits tant mondiaux qu'ecclésiaux, préjugés des plus âgés à l'égard des jeunes et vice versa. Préjugés sur nous-mêmes encore, comme nous le dit le Pharisien : « Dieu merci, je ne suis pas comme les autres !» Ou bien à l’inverse; à l’instar du publicain: « Je suis pécheur, inutile, incapable et indigne ».
Le grand mal des préjugés, c'est qu'ils nous enferment dans des raisonnements. Ils bloquent la vie dans des lieux et des espaces aux horizons -ô combien étroits et réducteurs-. Ils empêchent la vie, notre vie, nos vies, d'éclore, de s'ouvrir à l'émerveillement ; de s’ouvrir à ce qui est autre, de s’ouvrir à l'autre, de s'ouvrir à Dieu qui fait « toutes choses nouvelles ».
Mais la parabole de ce jour ne doit pas être pour nous une occasion de nous adresser des reproches et de nous blâmer. Cela ne sert à rien et cela demererait à jamais stérile.
Cependant ;prendre conscience, lucidement et avec un esprit ouvert, de cet état de fait, peut être l’occasion – ou en tout cas devrait être l’occasion - de nous tourner vers une autre attitude, surtout dans nos milieux ecclésiaux paroissiaux et monastiques :
À savoir; en présence de l'autre, se demander simplement : 
Qu'est-ce que cet autre vit ? 
Quelles sont les épreuves qu’il a eu à vivre, ou qu’il vit sans doute aujourd’hui ? 
Qu'est-ce qui a fait ce qu'il est devenu ?
Qu'est-ce qui fait qu'il ou elle est sur mon chemin aujourd'hui ou depuis un moment ?
Que savons-nous de son travail et de son implication (bien souvent dans l’ombre…) pour la vie de l’Eglise, d'un monastère ou pour la vie du monde ? Que savons-nous de son désir de se tenir debout, devant Dieu ? 
Sommes-nous donc alors en adéquation avec l’amour, le partage, la fraternité et la bienveillance que nous prêchons tant ?
Alors, à ce moment-là, nous nous avons tout loisir de nous mettre en marche avec l'autre, de l'aider à avancer comme lui, sans oublier surtout et avant tout, que c’est lui qui nous aide à avancer. 
On en vient – et c'est peut-être là le vrai message chrétien – à accepter que l’autre soit « autre » et non comme nous souhaiterions qu’il soit, selon nos désirs, notre petit confort dans lesuel nous croyons être en sécurité, nos impératifs, nos revendications, nos frustrations et nos exigences… c'est à dire par notre orgueil démesuré.
Ceci non pas dans une sorte de résignation…; mais dans le sentiment et la conviction de la richesse de la complémentarité qu'il ne s’agit pas de professer et d'idéaliser; mais qu’il s’agit surtout de vivre ; ne serait-ce que pour être cohérent avec nous-même. C’est à dire comme dans la création : à savoir dans l'œuvre d'un Dieu aimant, créateur et généreux et qui ne demande qu’à donner et se donner… pour autant que nous Le laissions faire. 
La parabole d'aujourd'hui veut avant tout nous livrer un enseignement sur la prière, sur la manière de se situer devant Dieu et en Sa présence. Nous constatons alors qu’on n'y échappe pas : nous retrouvons ici encore nos préjugés !
Le grand tort, le grand danger que véhiculent nos préjugés, c'est que nous les transposons en Dieu et sur Dieu en Le pensant comme nous et en pensant qu'Il pense comme nous : jugeant sur l'extérieur, sur les apparences ; comme si nos jugements étaient confirmés par Lui. 
Ce serait oublier que Dieu n'est pas comme nous. Il juge sur ce qu'il y a de plus grand et de meilleur en nos cœurs. Ce qu'Il y trouve de mal ; Il le transforme en pardonnant et en réconciliant. Et comme vient de nous le dire le Seigneur à la fin de l'Évangile de ce jour: Il élève qui s'abaisse et abaisse qui s'élève, c’est à dire qu’Il révèle sa vraie grandeur et sa dignité à celui qui se voit mal, trop indigne et pécheur, et à l’inverse, Il enseigne l’humilité à celui qui sait tout mieux que tout le monde, à celui qui a la critique facile et vous tout diriger et imposer selon sa volonté sans comprendre que servir l'autre (c'est à dire servir Dieu qui est en l'autre) c'est devoir le servir tel que l'autre l'attend et non comme nous estimons devoir le servir !
Alors, comment sortir de tout cela, comment nous dégager de nos jugements et de nos préjugés ? 
Peut-être faudrait-il s'exercer à porter sur les autres, sur nous-mêmes, sur tant de situations, ce regard de Dieu tel qu'il nous est révélé en Christ. Lui, le Sauveur qui a posé sur les petits, sur les pécheurs, sur les délaissés de toutes sortes, un regard de justice, de consolation et de guérison. Il a cherché la brebis égarée, Il n'a pas craint la semaine dernière de s'asseoir à la table de Zachée qui l'invitait etc… Prendre modèle sur ce regard du Christ, c’est petit à petit Le laisser pénétrer en nous afin qu’Il devienne notre propre regard ; autrement dit pour nous afin de ne tout voir que par les yeux du Christ et ainsi devenir vrais en Christ.  
Ce regard ; demandons-le dans notre prière et dans notre Eucharistie de ce jour, avec confiance et espérance.
Alors quitte à être semblables au Pharisien et au Publicain ; c’est à dire respectivement et paradoxalement pécheurs et humbles à la fois ; devenons toujours et de plus en plus à leur suite et sans jugement ni préjugés aucun: généreux, aimants, humbles et confiants ; et que ces paroles du livre de la Sagesse nous guident en ce sens :
« Dominant Ta force, Tu juges avec modération,
et Tu nous gouvernes avec de grands ménagements,
pour qu’après les péchés Tu donnes le repentir.
Ainsi Tu nous instruis, pour que nous songions à Ta bonté quand nous jugeons et que quand nous sommes jugés, nous comptions sur Ta miséricorde ! »


Amen !


 

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