Mgr. Elisée: Dimanche après la Théophanie
Dimanche après la Théophanie
St Matthieu IV, 12-17
12 janvier 2025
Monastère Saint Silouane
Chers frères et soeurs !
Saint Matthieu nous explique que le Christ « quitta Nazareth et vint habiter à Capharnaüm, ville située au bord du lac, dans les territoires de Zabulon et de Nephtali ». Cette précision revêt à nos oreilles un cachet un peu exotique. Mais l’objectif de l’évangéliste n’est évidemment pas de nous donner des renseignements touristiques, d’autant plus que ceux à qui il écrivait connaissaient parfaitement les lieux. Sa visée est théologique et il l’explique aussitôt : « Ainsi s'accomplit ce que le Seigneur avait dit par le prophète Isaïe ».
Zabulon et Nephtali sont deux régions situées au Nord de la Palestine. À l’époque dont parle Isaïe, le royaume d’Assyrie les annexa et les humilia fortement. La honte de la défaite et le souvenir des déportations furent un traumatisme cuisant. Or, le prophète l’annonce fermement, ces souvenirs seront bientôt effacés. La conviction du prophète est si grande qu’il se permet de parler déjà au passé : « sur ceux qui habitaient le pays de l'ombre une lumière a resplendi ». Autrement dit, à ceux à qui il veut redonner l’espérance dans le Seigneur qui sauve son peuple, Isaïe n’hésite pas à parler comme si le salut promis était déjà arrivé. Telle est bien la force de la Parole de Dieu : elle réalise ce qu’elle annonce. En conséquence, Isaïe considère que la joie de la libération promise peut légitimement déjà s’exprimer : « ils se réjouissent devant toi comme on se réjouit en faisant la moisson ». Le prophète évoque la joie à venir et invite audacieusement à en vivre déjà, par la foi., dans la confiance et l’abandon à la volonté de Dieu, qui sont des valeurs que le Christ n’aura de cesse d’enseigner à ses disciples.
Le psaume 26 reprend en écho ces encouragements : « J'en suis sûr, je verrai les bontés du Seigneur sur la terre des vivants. Espère le Seigneur, sois fort et prends courage ; espère le Seigneur ». Cette foi qui permet de se réjouir déjà des biens promis repose sur une authentique connaissance de Dieu : le « Seigneur est ma lumière et mon salut ». Ainsi, c’est par la foi qu’on possède les réalités qu’on espère. De plus, les possessifs, « ma » lumière et « mon » salut, introduisent une dimension originale dans la relation au salut : ces possessifs sont en eux-mêmes des actes de foi. La lumière qui se lève pour les nations se lève donc pour chacun d'entre-nous. Le salut promis à Zabulon et Nephtali est la libération qui nous est offerte personnellement.
Nous trouvons notre force dans cette proclamation qui nous dépasse tellement qu’elle nous libère, tout simplement parce qu’elle est la vérité. « Le Seigneur est ma lumière et mon salut ». Il redit l’espérance qui l’habite et affirme son accomplissement. Ce faisant, il s’appuie sur le roc et devient un roc pour ceux qui l’écoutent. Ainsi, par la citation qu’il fait de la prophétie d’Isaïe, saint Matthieu nous enseigne que nous pouvons redoubler de joie car non seulement la promesse de libération s’accomplit mais encore elle s’accomplit dans le Christ. Voilà exactement ce qu’il nous dit lorsqu’il explique que le Seigneur est venu s’installer à Capharnaüm. Une nouvelle fois, l’évangile de ce jour nous place en opposition avec la logique mondaine. Après avoir été invités à nous réjouir sans attendre la réalisation complète d’une promesse, l’évangile nous demande d’annoncer une Bonne Nouvelle sans chercher à la justifier. Elle est sa propre justification car elle opère le salut qu’elle annonce. Au final, la foi est aussi simple qu’un matin qui se lève. Mais il s’agit d’une aurore nouvelle, l’astre d’en haut se levant sur le peuple qui habite les ténèbres est le Christ lui-même. Nous avons à entrer dans la nouveauté de cette lumière : « convertissez-vous car le Royaume des cieux est tout proche ». Il est temps de passer des ténèbres à la lumière, du péché à la vie filiale, de la désespérance à l’espérance, de l’accablement à l’allégresse. Nous le savons, la démarche de conversion est personnelle, comme l’appel du Christ est un appel à le suivre qu’il adresse à chacun de nous , de manière personnelle et unique. Là est le chemin du salut. « Venez à ma suite », nous dit le Christ. Il ne nous dit pas « venez avec moi » comme si nous marchions d’égal à égal. Il dit « venez à ma suite », c'est-à-dire : « devenez mes disciples », ou encore : « mettez-vous à mon école ». Il nous invite à entrer dans une relation de maître à disciple. La conversion que le Christ demande est donc un abandon de nos revendications, de nos contestations systématiques, de nos désirs d’autonomie, et donc de nos choix de mort qui ont enténébré le monde. Cette conversion est le choix d’un maître à suivre et à imiter, elle est le choix exclusif de Dieu.
Notre plus grand émerveillement à l’écoute de cet ordre du Seigneur n’est pas dans le chemin qu’il ouvre vers la vie. Le plus surprenant est que cet ordre est également une prière et cela nous concerne plus particulièrement nius; moines et moniales puisque la prière est notre vocation.
Quand Dieu vient pour nous sauver, Il a la délicatesse de commencer par nous demander notre collaboration. Voilà donc comment s’y prend notre Seigneur avec les provinces humiliées. Il ne se contente pas de les couvrir de gloire, selon la promesse faite par son prophète Isaïe, mais il les invite à relever la tête, il leur donne d’accueillir dans la dignité la gloire qu’il leur avait promise. Ensuite, l’humanité entière est appelée à accueillir le salut. « Galilée, carrefour des nations » est l’expression de cette promesse de l’ouverture du salut à tous les peuples de la terre. Promesse que, quelles que soient les oppositions et les persécutions, celle de Jean-Baptiste ou, plus tard, celle des disciples du Christ, le rayonnement de la lumière de la résurrection transfigurera le monde entier.
Les signes attestent la vérité de la Parole, le Royaume de Dieu est bien là, car « toute maladie et toute infirmité » sont guéries. Alors sans hésiter, mettons-nous avec une radicalité renouvelée à la suite de celui qui nous appelle à passer des ténèbres à sa lumière, et redisons avec le psalmiste la seule prière de demande qui ait de l’importance :
« J'ai demandé une chose au Seigneur, la seule que je cherche : habiter la maison du Seigneur tous les jours de ma vie », comme nous le dit avec ses mots Saint Théophane le Reclus que nous avons fêté il y a deux jourd : « C’est dans le cœur que se trouve la vie, c’est là que vous devez vivre ».
Amen !